Après les attaques de janvier 2015 contre l'hebdomadaire satyrique Charlie Hebdo, Bernard Cazeneuve avait décidé d’imposer un diplôme universitaire aux imams venus de l’étranger, dont la majorité est turque.
Après les attaques de novembre dernier, il a cette fois lancé l’idée d'une «certification» des imams de France gérée par le CFCM.
Toutes ces initiatives proposés par l'exécutif français illustre bien la préoccupation au plus haut sommet de l’État de la question de la formation des imams en France.
Combien y a-t-il d'imams en France ? Si le bureau des cultes annonce un chiffre approximatif de 2 000 imams en France, la réalité semble en fait porter leur nombre à plus de 4 000. « Il y a deux ou trois imams par mosquée et on comptabilise 2 200 mosquées en France», compte M’hammed Henniche, président de l’Union des associations musulmanes du 93, le département qui comptabilise le plus de lieux de culte musulman sur le territoire.
Les imams sont d’autant plus difficiles à comptabiliser que leur statut et fonction diffèrent selon leur situation.
M’hammed Henniche, président de l’Union des associations musulmanes du 93.
La plupart des imams, bénévoles et dédommagés «au noir»
Les imams français, dont la grande majorité est autodidacte malgré le développement d’instituts de formations, seraient pour la plupart bénévoles ou dédommagés «au noir». Ils sont sélectionnés par les associations cultuelles en charge de la mosquée dans le cadre d’un vote de l'assemblée générale, souvent négligé. «L’imam n’est pas protégé, il est constamment sur un siège éjectable et vit une grande précarité», dénonce Meskine Dhaou, secrétaire général du Conseil des imams de France qui rassemble plusieurs centaines d’imams.
Meskine Dhaou, le secrétaire général du Conseil des imams de France.
Au regard des dernières vagues d'attentats et de la pression qui pèse sur l’organisation du culte musulman en France, les associations cultuelles engagent de plus en plus d’imams salariés, même s’ils restent tout à fait minoritaires. «Sur les 200 lieux de culte de Seine-Saint-Denis, seuls 10 ont un imam salarié» avoue M’hammed Henniche.
Aucun statut spécifique n’existe à l’inspection du travail, ni obligation de formation quelconque.
Les imams signent des contrats en tant qu'animateur ou enseignant et gagnent entre 1 000 et 1 800 euros net selon leurs prérogatives. «Ils ont, comme tous les ministres du Culte, la possibilité d’accéder à la caisse d’assurance maladie CAVIMAC», tient tout de même à préciser Francis Messner, directeur de recherches au CNRS, en charge du laboratoire «Société, droit et religion en Europe». «L’Etat ne peut pas se mêler de la création d’un statut, par respect pour la laïcité. C’est aux organisations du culte de s’organiser», s'empresse-t-il d'ajouter.
En théorie, l’association cultuelle doit fournir un cahier des charges à l’imam afin de définir son rôle très variable d’une mosquée à une autre : mener les cinq prières quotidiennes, faire le prêche du vendredi, répondre aux questions religieuses des fidèles, célébrer les mariages, s’occuper des cérémonies d’obsèques, enseigner, tenir un rôle de médiation familiale ou sociale, ou tout à la fois.
De la difficulté d'être imam dans une société laïque
Tout dépend du besoin de la mosquée et de la communauté. En plus de l’aspect religieux, l’imam joue donc un rôle social particulièrement important. «Quand quelqu’un a un problème avec son fils, il m’appelle, même quand ils cherchent du travail, les gens font appel à moi», se désole un peu Abdallah Dliouah, imam bénévole de la grande mosquée de Valence, rattaché au réseau de la Grande mosquée de Paris.
Abdallah Dliouah, imam bénévole de la grande mosquée de Valence.
Ce dernier, autodidacte et issu d’une famille d’imams algériens, jongle depuis 25 ans entre son travail, sa vie de famille et son engagement qui lui prend tout son temps libre. «On en demande trop aux imams !», conclut-il. «L’imam est une source de confiance parce qu’il a une aura religieuse, indique un jeune imam de la région parisienne qui souhaite garder l’anonymat. Il assure la stabilité sociale. Mais ils ne sont ni suffisamment formés, ni suffisamment épaulés pour assurer ce rôle qui avait un vrai sens dans le cadre d’une société ancienne où l’imam était aussi le chef de la communauté».
L’imam aurait donc du mal à trouver sa place dans une société laïque. Cette multitude de faisceaux, doublé de la précarité dont ils font l’objet, est un facteur de fragilisation sociale pour les imams.
«Il y a des mosquées qui courent après des imams stars, même si théologiquement ils ne valent pas grand-chose, s’inquiète M’hammed Henniche. Une partie des imams est exploitée par les présidents d’association alors qu’une autre s’accapare la mosquée et impose sa tendance.»
La religion ayant horreur du vide, les imams les plus encadrés sont ceux formés, envoyés et payés directement par des gouvernements étrangers comme le Maroc, l'Algérie ou la Turquie.
Des imams venus d’ailleurs mieux payés que les imams français
Ces imams dits «détachés» s’installent pour une durée limitée, en fonction des conventions bilatérales signées entre le ministère de l’Intérieur français et les pays concernés.
Les Algériens viennent pour trois ans, alors que les Turcs quatre ans, plus une année supplémentaire maximum. Les dernières conventions de 2015 font état de l’arrivée de 300 imams détachés disséminés sur le territoire français à la demande des fédérations musulmanes françaises.
150 d’entre eux sont turcs, 120 algériens et 30 marocains. Ils sont payés par leur gouvernement, par le biais des consulats, pour des sommes supérieures et un statut plus avantageux qu’un imam français.
D’après nos informations, l’Algérie, par le réseau de la Grande Mosquée de Paris, les rémunérerait environ 2 000 euros et exige de l’association qu’elle leur trouve un logement. La Turquie les paierait environ 1 500 euros.
Les mosquées turques sont les seules en France dont les imams sont exclusivement issus de Turquie. «Nos imams arrivent de Turquie avec leur famille et travaillent beaucoup», nous indique Ibrahim Alci, président du collectif des institutions musulmanes de Roubaix (CIMR), regroupant six mosquées turques. «Ils sont très encadrés car ils représentent l’Etat turc en France», ajoute-t-il.
Ibrahim Alci est le président du collectif des institutions musulmanes de Roubaix.
Les mosquées turques sont d’ailleurs les seules en France dont les imams sont exclusivement issus de Turquie. Une ingérence étrangère claire contre l’assurance d’une stabilité religieuse pour le gouvernement français. Dans ce contexte, les problèmes se cristallisent autour du manque de connaissance de la langue et du contexte français.
Contrôle du français, diplôme universitaire, «certification» : les tentatives d’encadrement
Au bureau des cultes, on assure que pour qu’un visa soit délivré par les autorités françaises à un imam, un niveau de français minimum est exigé. Le candidat doit avoir le niveau B2 en Français Langue Etrangère.
Mais cela n’est pas suffisant pour élaborer des prêches ou investir le champ théologique en langue française. Le prêche se fait donc le plus souvent soit en arabe, soit en turc. «Les imams turcs ont au moins l’avantage d’être parfaitement arabophones, renchérit Ibrahim Alci, Mais c’est vrai qu’il est important qu’ils aient le bagage nécessaire pour s’adapter au contexte français, différent du turc».
Pour s’en assurer, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve veut donc imposer aux imams étrangers, mais aussi aux aumôniers français, un diplôme Universitaire «droit, société et religion» à suivre dans l’une des treize universités françaises qui le propose depuis septembre 2015.
Extrêmement sollicités sur le plan religieux, les imams le sont tout autant sur des questions sociales par leurs fidèles.
Cette obligation est déjà effective pour les imams algériens et le gouvernement est en pleine négociation avec la Turquie et le Maroc à ce sujet. «Ça serait plus judicieux de proposer ce cursus avant leur arrivée : cela va gêner l’organisation si en plus de leur travail, ils doivent suivre un cursus universitaire», déplore Ibrahim Alci. «Les mosquées turques vont devoir s’adapter à l’évolution de la jeunesse franco-turque qui va de moins en moins se reconnaître dans des imams venus du pays, prévient Meskine Dhaou. Cela va créer un vide que les jeunes comblent en allant chercher des imams qui leur ressemblent.»
Le 24 novembre 2015, Bernard Cazeneuve a, de plus, demandé la mise en place d'une «habilitation», ou «certification» facultative des imams français par le biais du CFCM. Une mesure qui fait sourire au regard du manque de crédibilité dont jouit pour le moment le CFCM auprès des musulmans.
Des imams français pour un islam de France
Une autre pratique, déjà exploitée par le Maroc, est l’envoi de Français binationaux dans les pays d’origine pour se former religieusement.
Le gouvernement marocain a, dans ce sens, ouvert une bourse aux seuls Franco-marocains pour aller étudier à l’institut Mohammed VI de Rabat, inauguré le 27 mars 2015. Ils sont déjà une trentaine à bénéficier de ce suivi.
Les jeunes turcs développent aussi leur réseau. «Nous avons quatre ou cinq jeunes qui sont partis en Turquie étudier, explique Ibrahim Alci. Ça fait quelques années que nous demandons au consulat de développer cela.»
Salle de prière de la mosquée Eyup Sultan, à Vénissieux.
De nombreux français partent déjà, à titre individuel, se former dans de grandes universités islamiques comme Al Azhar, au Caire. Mais dans quelle mesure seront-ils encore liés au pays une fois rentrés ?
Pour Meskine Dhaou, «il faut cesser de regarder l’islam comme un fait étranger. Nous devons faire émerger des imams français, francophones, formés en France par des institutions neutres et indépendantes des grandes mouvances étrangères».
Derrière cette volonté, se dessine l’enjeu d’une émulsion théologique musulmane proprement française et indépendante. Mais depuis la mise en place, après les attentats de janvier 2015, par le ministère de l’Intérieur d’une nouvelle instance de discussion, englobant des profils très variés dont une majorité d’imams, les choses semblent évoluer.
Tareq Oubrou est le recteur de la Mosquée de Bordeaux et l'auteur de l'ouvrage Profession imam.
En mai 2015, un Conseil Théologique Musulman de France a vu le jour. Il se veut indépendant, malgré une surreprésentation de membres issus de l’UOIF.
Pour autant, et en attendant mieux, la désorganisation de la pratique de l’imamat en France va de pair avec le vide institutionnel laissé par un CFCM proprement administratif, construit loin des imams.